Fort ralentissement, mais résistance grâce au tourisme et aux fonds européens
Grâce à la reprise du tourisme et à la consommation soutenue des ménages (stimulée par l'épargne excédentaire héritée de la pandémie), l'économie chypriote a dépassé les niveaux de production d'avant la pandémie. Le tourisme et les investissements soutenus par l'UE resteront des piliers fiables de la croissance jusqu'en 2024. Cependant, les vents inflationnistes mondiaux, l'exposition supérieure à la moyenne à l'économie russe et la diminution de la demande européenne ont induit un ralentissement. Bien que Chypre soit peu exposée directement à l'approvisionnement énergétique russe, le pays insulaire dépend en grande partie du pétrole importé et reste donc vulnérable aux chocs énergétiques mondiaux. La croissance de la demande intérieure sera érodée par la diminution du pouvoir d'achat et le resserrement des conditions financières. Les secteurs des services professionnels et financiers dépendent fortement des filiales de sociétés russes et ukrainiennes exposées aux sanctions. Le secteur du tourisme a réussi à surmonter les pertes des marchés russe et ukrainien grâce à l'augmentation du nombre de visiteurs en provenance d'Europe occidentale (principalement du Royaume-Uni). Au total, l'exposition des services à la Russie est estimée à 10 % du PIB, ce qui constitue une source de risque substantiel à la baisse. Cela dit, l'inflation devrait se modérer en 2024, sauf si la réouverture de la Chine sur les marchés mondiaux de l'énergie et des matières premières a un impact plus fort que prévu. Les perspectives d'investissement continueront d'être assombries par l'abolition du régime de citoyenneté par investissement, qui constitue un choc négatif durable pour les entrées d'IDE. Bien que le pays doive bénéficier d'une aide européenne substantielle sous la forme de fonds NGEU (6 % du PIB de 2019), le calendrier de décaissement de ces fonds a été ralenti par l'incapacité à mettre en œuvre les réformes à temps. En raison du ralentissement des exportations de services et des importations de plus en plus coûteuses (énergie, biens d'équipement et matériaux de construction), la contribution des exportations nettes à la croissance sera proche de zéro.
Diminution du risque souverain et bancaire
Le fort rebond post-pandémique et l'augmentation des recettes touristiques qui en découle ont permis au pays d'afficher des résultats budgétaires étonnamment bons, avec un fort excédent en 2022. Le retrait progressif des mesures de soutien liées à la pandémie et à la crise énergétique, combiné à l'augmentation des recettes provenant des impôts sur les salaires du secteur privé et les bénéfices des entreprises, permettra de dégager des excédents durables au cours de la période de prévision. Cela devrait être le cas malgré l'augmentation des salaires et des pensions dans le secteur public, de l'ordre de 7,5 %. L'effet combiné de la forte croissance du PIB nominal et des excédents budgétaires se traduira par une diminution rapide du ratio de la dette. Avec des besoins de financement gérables (estimés à 5-6 % du PIB par an), des réserves de liquidités solides représentant 10 % du PIB et plus de deux tiers de l'encours de la dette à taux d'intérêt fixe, le risque souverain est raisonnablement contenu. Le principal risque qui pèse sur les perspectives budgétaires est lié à l'incertitude qui entoure l'indemnité de vie chère, un régime de subventions salariales indexées sur l'inflation dont les coûts pourraient se répercuter si le gouvernement cédait à la pression des syndicats. La santé du système bancaire, même s'il porte encore quelques cicatrices de la crise de la zone euro, est également sur une trajectoire positive. Cela vaut pour l'actif, où le ratio de NPL a diminué à 9,3 % (au premier trimestre 2023), ainsi que pour le passif, avec un ratio de capital CET-1 moyen de 17,7 % (fin 2022). Le déficit structurellement élevé des comptes courants du pays n'est que partiellement préoccupant, car il est financé en grande partie par les IDE liés aux participations des multinationales étrangères. Une partie de ce déficit est due à la dépendance du pays à l'égard des importations de produits manufacturés et de produits de base, ce qui se traduit par un déficit de 18 % du PIB au niveau de la balance des biens. Cependant, une grande partie est également due à l'activité des entités à vocation spéciale domiciliées à Chypre, par l'intermédiaire desquelles les entreprises mondiales actives dans le commerce maritime enregistrent leurs navires, gonflant ainsi les importations. La structure industrielle peu diversifiée du pays le rend vulnérable aux chocs de l'offre mondiale.
Malgré des signes d'apaisement, les tensions avec la Turquie sont toujours présentes et pertinentes
L'île de Chypre est divisée entre la République de Chypre (RC), alliée à la Grèce et membre de la zone euro, qui contrôle la moitié sud de l'île, et la République turque de Chypre du Nord (RTNC), qui contrôle le nord et n'est reconnue que par la Turquie. Alors qu'une impasse pacifique existe depuis les années 1970, les tensions géopolitiques croissantes entre la Grèce, Chypre et l'UE, d'une part, et la Turquie, d'autre part, ont encore tendu cette relation. Le président Nicos Christodoulides, un indépendant, est contraint de gouverner avec un parlement fragmenté, la législation étant adoptée au cas par cas en l'absence de majorité. En proie à ces problèmes de gouvernance, Chypre a tardé à tirer parti des fonds de l'UE en raison de retards dans la mise en œuvre des objectifs de réforme (collecte des impôts, énergie, santé, éducation et infrastructures de transport) nécessaires pour accéder à la part qui lui est allouée. L'escalade du bras de fer avec la Turquie et la RTCN sur les revendications maritimes, y compris les gisements de gaz potentiels, est un point de blocage crucial. Depuis 2018, la Turquie a envoyé à plusieurs reprises des navires d'exploration escortés par des navires militaires dans les eaux contestées. Bien qu'il y ait eu récemment quelques signes de détente, la voie vers une solution durable n'est pas évidente ou probable à l'heure actuelle. Chypre reste un membre clé de l'EastMed Gas Forum, une alliance avec l'Égypte, la Grèce, Israël, l'Italie, la Jordanie et la Palestine, visant à favoriser une industrie gazière régionale.