Rebond de la consommation malgré les vents contraires régionaux
Plombée par la dégradation de la situation au Moyen-Orient et ses effets délétères sur le tourisme (environ 15% du PIB en 2023) en 2024, la croissance économique devrait rebondir légèrement en 2025, d’abord soutenue par la consommation des ménages (près de 80% du PIB en 2023) que favorise l’assouplissement monétaire en cours, malgré un taux de chômage encore élevé (21,4% au T2 2024). Sur fond d’inflation modérée et pour préserver l’ancrage du dinar au dollar, la Banque centrale de Jordanie (BCJ) compte en effet poursuivre sa politique d’abaissement des taux directeurs, engagée dès septembre 2024, en ligne avec la Réserve Fédérale Américaine (Fed). Un regain d’investissement est attendu, notamment dans les infrastructures (énergie, transport, désalinisation), porté par les monarchies du Golfe, à l’image des Émirats Arabes Unis, engagés en faveur du projet de ligne de chemin de fer à 2,3 milliards de dollars reliant le port d’Aqaba aux mines de potasse et de phosphate d’Al-Shidiyah et de Ghor Al-Safi. Ensoleillée tout au long de l’année, la Jordanie multiplie également les initiatives pour développer le secteur des énergies renouvelables, qui concentre les IDE. Le partenariat avec le Koweït pour la construction de la centrale solaire de Masader El Haq, d’une capacité de 100 mégawatts, prévue pour fin 2025, s’inscrit dans cette stratégie. Il s’agit aussi d’un enjeu d’indépendance énergétique pour le pays, qui dépend largement des importations d’hydrocarbures.
Néanmoins, le déclin du tourisme, dont la reprise – dépendante de l’évolution sécuritaire régionale – interviendrait au plus tôt en seconde partie d’année 2025, continuera de peser sur les perspectives à court terme. Le royaume enregistrait déjà une chute de 7% des arrivées et de 4% des revenus touristiques en glissement annuel sur les neuf premiers mois de 2024. Une tendance exacerbée par les voyageurs européens et américains, quand les touristes arabes (y compris les Jordaniens de l’étranger) continuent de visiter le pays, voire plus qu’avant. Pour le reste, l’industrie manufacturière (engrais, produits textiles et pharmaceutiques, composants électroniques) résiste (environ 17% du PIB en 2023), malgré la baisse des prix mondiaux du phosphate et de la potasse, soutenue par le dynamisme de ses principaux marchés d’exportation (États-Unis, Inde, Arabie Saoudite).
Résorption du déficit public subordonnée au soutien international
Contrariée par l’embrasement régional, la consolidation budgétaire devrait reprendre en 2025 sous l’égide du FMI, avec lequel la Jordanie a conclu un nouveau programme (MEDC) de 1,2 milliards de dollars sur quatre ans en janvier 2024 (451 millions de dollars déboursés à fin 2024). Un tel exercice s’opérerait surtout par le resserrement des dépenses publiques en capital fixe, moins sensibles que le gel des salaires des fonctionnaires, les coupes dans les subventions ou les hausses d’impôts, pour contenir le mécontentement social et le risque de troubles. La lutte contre l’évasion fiscale ciblerait en priorité les grandes entreprises. Dans le même temps, le gouvernement poursuivra les réformes structurelles, notamment pour résorber les lourdes pertes des entreprises publiques (près de 2% du PIB en 2024), parmi lesquelles la National Electric Power Company ou la Water Authority of Jordan, dont les plans de redressement sont en cours.
L’important déficit du gouvernement central sera partiellement comblé par le surplus de la Social Security Corporation (SSC), malgré la baisse des taux d’intérêt, qui réduira seulement marginalement les revenus dégagés par sa branche investissement. Pour le reste, la Jordanie – en raison de son emplacement régional stratégique – continuera de disposer du soutien inconditionnel des pays du Golfe et des États-Unis. Ces derniers fournissent 1,45 milliards de dollars d’aide budgétaire et militaire par an, selon les termes de l’accord convenu pour la période 2023-2029, sans même compter les versements supplémentaires ponctuels. Ainsi, le poids de la dette consolidée dans le PIB augmenterait seulement légèrement en 2025. Majoritairement concessionnelle, elle restera soutenable malgré son niveau élevé : le service de la dette mobilisera, en moyenne, 12% des revenus de l’État sur la période.
La demande croissante pour les produits d’exportation jordaniens et la baisse – même minime – des prix du pétrole, étant donné son poids dans la facture d’importation, surpasseront le regain d’importation pour les biens de consommation, consécutif au rebond de la demande domestique, si bien que le déséquilibre de la balance commerciale, structurellement déficitaire, devrait diminuer un peu en 2025. Une dynamique renforcée, seulement en seconde partie d’année et sous réserve d’une amélioration de la situation régionale, par la reprise progressive des arrivées touristiques. Les remises de la diaspora (environ 9% du PIB en 2023) resteront à peu près stables. Le déficit courant devrait ainsi se réduire légèrement en 2025, financé par les flux entrants d’IDE et – à défaut – par endettement extérieur auprès des partenaires bilatéraux et multilatéraux habituels. Les réserves de change resteront confortables, équivalentes à plus de 7 mois d’importation, suffisantes pour garantir l’ancrage du dinar au dollar.
Stabilité domestique menacée par la crise régionale
Au cœur du Moyen-Orient, la Jordanie est une monarchie parlementaire au sein de laquelle le Roi Abdallah II dispose de prérogatives étendues (pouvoir décisionnel, nomination du Premier ministre, du chef d’État-major des forces armées, des sénateurs, etc.). Avec une population en majorité d’origine palestinienne, les tensions régionales accrues et la guerre Israël-Hamas influencent largement la politique intérieure jordanienne, au point que le sujet des relations avec l’encombrant voisin sont extrêmement sensibles. Pour Amman, sous pression américaine, il s’agit de maintenir un équilibre inconfortable entre coopération avec Israël – dont le royaume dépend pour ses approvisionnements en eau et en gaz – et condamnation de la guerre à Gaza en sus d’une rhétorique anti-israélienne. Cette position délicate est jugée trop complaisante par une population confrontée au chômage élevé, aux pénuries d’eau et à une administration lente et corrompue. Le Front d’action islamique, branche politique des Frères musulmans, arrivé en tête des dernières élections législatives de septembre 2024 (31 sièges sur 138), capitalise sur ce sentiment et le rejet de la diplomatie régionale du Roi, alors que les réformes électorales en cours risquent de favoriser les partis radicaux dans une chambre basse jusque-là très fragmentée.
À l’international, les États-Unis demeurent le premier garant de la sécurité du royaume, son principal partenaire commercial et pourvoyeur d’aide financière, quand les pays du Golfe – notamment Arabie Saoudite, Koweït et Émirats Arabes Unis – musclent leurs investissements. Hub de stabilité relative, dans un environnement marqué par les crises, la Jordanie fait office de refuge dans la région, accueillant, en plus des Palestiniens, un nombre important de réfugiés syriens et, dans une moindre mesure, irakiens. Malgré la détérioration des relations avec Israël, les accords de paix de Wadi Araba ne semblent néanmoins pas remis en question.