Le pays au cœur d’un conflit armé intestin
Le 15 avril 2023, un affrontement a débuté entre Abdel Fattah al-Burhan, à la tête des Forces armées soudanaises (SAF) et chef de la junte au pouvoir, et les paramilitaires des Forces de Soutien Rapide (FSR), dirigées par Mohamed Hamdan Dogolo, dit « Hemedti ». Ces deux généraux, anciennement alliés, avaient participé à la destitution d’Omar el-Béchir lors des contestations populaires de 2019, puis au coup d’Etat de 2021 qui avait évincé les civils du gouvernement chargé de la transition. Néanmoins, des tensions grandissantes, nourries par des désaccords sur l’intégration des FSR dans les SAF (Hemedti voulant conserver son indépendance et la maîtrise d’activités économiques) ont abouti à un conflit pour le contrôle de l’Etat. Les combats se déroulent principalement dans le sud-ouest du pays, notamment au Kordofan du Sud et dans le Darfour, où sont commises des exactions à caractère ethnique ; la capitale, Khartoum, est également au cœur des violences. Les Soudanais, que les deux factions cherchent à rameuter, subissent de plein fouet les retombées du conflit : violences, vie chère, malnutrition et épidémies (choléra, rougeole, dengue) ont entraîné la mort de plus de 7500 civils, dont 1200 enfants, pour un bilan daté à la mi-septembre 2023. Les infrastructures publiques ont été endommagées (70% des hôpitaux de zones de combats hors d’usage) et l’aide internationale, insuffisante, peine à être acheminée. Ainsi, en 2024, plus de 40% de la population se trouvera en situation d’insécurité alimentaire aigüe, soit au bord de la famine, selon la FAO. Cinq millions de Soudanais ont déjà été déplacés, dont 1 million ayant fui le pays pour rejoindre le Tchad, l’Egypte, le Soudan du Sud, l’Ethiopie ou la République Centrafricaine. En 2024, tant que le conflit durera, ces flux continueront de croître et de peser sur les sept pays frontaliers. Les réserves minérales et la position stratégique du pays, au bord de la mer Rouge, intéressent les investisseurs du Golfe et la Russie. Cette dernière a signé un accord en février 2023, portant sur un projet de construction d’une base navale à Port Soudan, qui lui permettrait de contrôler une partie du commerce et de l’approvisionnement mondial en pétrole. Les deux belligérants bénéficient de soutiens internationaux, comme le groupe de mercenaires russes, Wagner, qui arme les FSR, en échange de revenus aurifères. Les Emirats Arabes Unis sont également accusés de fournir des armes à Hemedti, afin de préserver leurs liens étroits ; entre 2016 et 2017, le général avait envoyé des mercenaires pour soutenir la coalition arabe au Yémen. Al-Burhan, peut, quant à lui, compter sur le soutien militaire et diplomatique de l’Egypte et multiplie les visites à l’étranger pour tenter d’asseoir sa légitimité. Finalement, l’Arabie Saoudite, qui affirme sa neutralité face au conflit, encadre des négociations depuis avril 2023, aux côtés des Etats-Unis ; mais les trêves signées n’ont jamais été respectées. Le processus de normalisation avec Israël, entamé début 2023, est à l’arrêt suite aux conflits soudanais et israélo-palestinien, ainsi qu’au rétablissement des relations diplomatiques avec l’Iran.
L’activité économique au ralenti
Le conflit a entraîné une large contraction du PIB en 2023 et n’a épargné aucun secteur ; en premier lieu, l’industrie, dont la majorité de l’activité se concentre dans l’Etat de Khartoum, épicentre des affrontements. Les destructions du capital physique, équipements et infrastructures (transports, bâtiments, canalisations), les combats autour de ceux-ci, ont entravé la production et l’acheminement des marchandises. L’extraction de pétrole et son raffinage ont, ainsi, considérablement diminué, tout comme ceux d’or. Les services (aux entreprises, commerce de gros et de détail) et l’agriculture, les deux principaux secteurs du pays, ont également essuyé de larges pertes, conséquences d’une insécurité extrême, de pillages et d’un manque d’accès au marché, aux intrants et aux financements. Le manque de liquidités et l’effondrement de la monnaie ont contrarié les transactions commerciales. Les exportations du pays (arachide, pétrole, coton, gomme arabique et bétail) se sont donc effondrées. En 2024, la croissance sera tributaire de l’évolution du conflit, même si la contraction du PIB pourrait être plus modeste. La production et les exportations de pétrole et d’or sont susceptibles d’augmenter. En cas d’accalmie, le pays pourra compter sur une reprise du secteur agricole, le retour de l’aide internationale et la reconstruction, malgré l’exode d’une large partie de la force de travail qualifiée et la modification des routes commerciales internationales, déviant de Port Soudan. Les flux d’investissements, en provenance majoritairement des pays du Golfe, ont été mis à l’arrêt en 2023 et ne devraient pas reprendre immédiatement, au vu du climat d’insécurité. Les ruptures d’approvisionnement, les prix extrêmement élevés, le manque d’accès aux infrastructures, l’insécurité et le chômage ont fait chuter la consommation en 2023, qui représentait 94% du PIB. La pauvreté extrême (35.7% de la population) et l’hyperinflation empêcheront la demande de réellement repartir en 2024. L’inflation, alimentée par la guerre, restera très élevée (à 3 chiffres), alors que la Banque Centrale continuera de monétiser le déficit public.
Quasi-disparition de l’Etat et partition du pays
Tant les exportations que les importations se sont considérablement réduites, permettant aux déficits commercial et courant de diminuer en 2023. En 2024, le déficit pourrait être accru par une reprise des importations liée, à la fois, à une reprise de la demande domestique, à l’insuffisance de la production locale et aux besoins de reconstruction, et aux achats de matériel militaire. Les transferts de fonds, en provenance de la Diaspora et de l’aide internationale, et la reprise partielle des exportations, atténueraient la hausse du déficit.
Parallèlement, les recettes et les dépenses budgétaires se sont aussi recroquevillées en 2023. La perturbation du commerce et de la production a affaissé les recettes fiscales du pays, provoquant la chute du produit des taxes. Ceci a largement contraint les dépenses sociales (arrêt de la rémunération des fonctionnaires et des subventions), qui ont été éclipsées par les dépenses militaires. Avec la quasi-disparition de l’Etat, avec ses administrations et ses capacités budgétaires, les déficits sont devenus très petits et recouvrent des sommes réduites. En 2024, les marges de manœuvre resteront très faibles. Chacun des belligérants tente de disposer de son territoire, de son administration et de son propre budget. Ainsi les FSR contrôlent plutôt l’ouest et le sud, ils tentent de conquérir le centre, avec Khartoum, afin de mettre la main sur les institutions, et se paient sur le commerce de l’or. Les FSA sont implantées au nord et à l’est, ont déménagé leurs personnels à Port Soudan et encaissent les droits de transit du pétrole Sud-Soudanais.
Tant que le conflit se poursuivra, les soutiens budgétaires extérieurs, de la part des principaux partenaires commerciaux (pays du Golfe et Chine) et des organisations multilatérales, resteront bloqués (expiration d’une Facilité Elargie de Crédit en décembre 2022 non renouvelée par le FMI). Seule l’aide humanitaire parvient encore. Les options de financement resteront très limitées, la Banque centrale sera donc contrainte de monétiser les déficits, nourrissant l’inflation. L’allégement de la dette, sous l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés), est suspendu depuis 2021 et devrait le rester, ce qui contribuera à l’accumulation d’arriérés et accroîtra l’insoutenabilité de la dette.