Un pays divisé
Après la révolution de 2011, mettant fin à 41 années de règne du président Kadhafi, la guerre civile (2014-2020) a abouti à la division est-ouest du pays. À l'ouest, le Gouvernement d’unité nationale (GNU), dirigé par le Premier ministre Abdelhamid Dbeibeh, le Haut Conseil d’État (chambre haute) et le Conseil présidentiel, sont basés à Tripoli et jouissent de la reconnaissance internationale. Le GNU a reçu pour mandat de l’ONU de conduire la Libye à des élections présidentielles et législatives initialement prévues en décembre 2021. Le report sine die de ces élections s’est soldé par la création du Gouvernement de stabilité nationale (GNS), basé à Syrte, à l’est du pays. Il est dirigé par le Premier ministre Oussama Hammad, et soutenu par la Chambre des représentants (chambre basse), aussi reconnu par la communauté internationale, basé à Tobrouk. Le GNU et le GNS sont tous deux soutenus par diverses milices (incluant des mercenaires étrangers) et anciennes unités de l'armée, dont, notamment, l’Armée Nationale Libyenne (ANL) dirigée par maréchal Haftar à l’est. Les deux autorités divisent également la communauté internationale : la Russie et l'Égypte soutiennent le GNS, tandis que la Turquie soutient le GNU. Des tentatives régulières de réunification des institutions interviennent, parfois sous l’égide de la Mission de l’ONU (MANUL) et de la communauté internationale. Le rapprochement récent entre Turquie et Egypte pourrait la favoriser.
Plusieurs conséquences découlent de cette bicéphalie. L’exploitation des hydrocarbures et la répartition des revenus associés sont des sujets sensibles, d’autant qu’une grande majorité des puits est sous le contrôle du gouvernement de l’Est. A cet égard, le blocus de plusieurs puits pétroliers par des groupes armés alignés sur l’Armée Nationale Libyenne (ANL) a conduit, en 2023, à un accord entre Dbeibeh et le maréchal Haftar sur le partage des revenus. Le Haut Comité de surveillance financière, composé de représentants de l’Est et de l’Ouest a été créé, afin d’allouer les ressources budgétaires. Cet accord, ainsi que la réunification de la Banque centrale de Libye (CBL), en août 2023, reflètent une amélioration de l’environnement sécuritaire et des progrès dans la gestion économique, même si cela reste précaire.
Une croissance dynamisée par les hydrocarbures
En 2023, la croissance économique a rebondi, soutenue par la forte reprise de la production pétrolière (+20% par rapport à 2022) qui a atteint, en moyenne, 1,2 millions de barils/jour (bpj). Trois compagnies pétrolières étrangères (Eni, British Petroleum et Sonatrach) ont, en effet, repris leurs opérations en août 2023, après dix ans d’arrêt du fait de la force majeure. Ce dynamisme devrait persister en 2024, en lien avec une hausse progressive de la production d’hydrocarbures. La Compagnie pétrolière nationale, la NOC, a affiché, début 2024, un objectif de production de 2 millions de bpj d’ici trois à cinq ans (3,4 millions, le niveau des années 70, à plus long terme), prévoyant, déjà, une hausse de 100 000 bpj pour cette année. L’augmentation de la production sera favorisée par un accroissement de l’investissement. Ainsi, la NOC, en participation avec les compagnies étrangères, compte investir 18 milliards de dollars dans 45 projets pétroliers et gaziers. De plus, elle a lancé un appel d’offres international afin de stimuler l’exploration dans les bassins de Syrte, Mourzouk et Ghadamès, ainsi qu’un appel d’offres national, visant à inciter les entreprises locales à investir. Par ailleurs, l’espagnol Repsol devrait commencer ses activités d’exploitation dans le bassin de Mourzouk en avril 2024. Enfin, la NOC et Eni ont signé un accord, en 2023, pour le développement de deux champs gaziers en mer. Eni a annoncé vouloir investir 8 milliards de dollars sur 3 ans ; il s’agirait de l’investissement le plus important dans le secteur des hydrocarbures depuis 2011 et permettrait de produire environ 760 millions de pieds cubes de gaz par jour. Néanmoins, l’augmentation de la production d’hydrocarbures restera contrainte par les divisions politiques et l’obsolescence des installations d’extraction et de transport, restant bien en dessous de son niveau de 2010 (autour de 1,8 million de bpj). Cet accroissement de la production d’hydrocarbures devrait soutenir les exportations, les recettes publiques et, par ce biais, la dépense publique et la consommation privée. Par ailleurs, en raison des problèmes sécuritaires, ainsi que de la médiocrité de l’environnement des affaires, la croissance non pétrolière restera faible. L’inflation devrait peu varier grâce à la moindre volatilité des prix mondiaux des produits de base.
Les exportations pétrolières entretiennent les excédents, en dépit de dépenses publiques et d’importations soutenues
La Libye est fortement dépendante (à 95%) des revenus tirés des hydrocarbures pour ses recettes budgétaires. La hausse de la production et des cours toujours favorables permettront de conserver l’excédent budgétaire, malgré le dynamisme de la dépense publique. Bien qu’il n’y ait pas de budget national stricto sensu en raison de la division politique, la Banque centrale de Libye (CBL), qui encaisse les recettes pétrolières et les redistribue aux deux gouvernements, exerce un contrôle sur leurs dépenses, surtout celles du gouvernement de l’Ouest (GNU) qu’elle a mis en garde contre une augmentation significative du niveau de dépenses publiques. Ses dépenses budgétaires sont dominées par les salaires du secteur public, qui emploie environ 1/3 de la population. Les subventions aux ménages, qui constituent une part importante des dépenses (1/4) devraient se réduire en 2024. En effet, le gouvernement de Tripoli a annoncé la suppression des subventions sur les carburants, qui favorisent la contrebande. Le prix intérieur de l’essence s’établit à 0,03 dollar le litre, soit le deuxième plus bas au monde, après le Venezuela. Cependant, en raison des protestations face à cette suppression, le GNU pourrait adopter des aides ciblées, afin de soutenir le pouvoir d’achat des ménages les plus pauvres. Par ailleurs, les transferts exceptionnels à la NOC, afin d’augmenter la production pétrolière, devraient être réduits par rapport à 2023. Enfin, le gouverneur de la CBL a appelé à mettre fin aux dépenses parallèles au financement obscur et à approuver un budget unifié pour l’ensemble du territoire libyen.
L’excédent courant devrait rester stable en 2024, avec, d’un côté, une hausse des exportations de pétrole et de gaz, de l’autre, un accroissement des importations en lien avec les nombreux projets d’investissements publics et privés essentiellement dans les hydrocarbures. La Libye dépend des importations, tant d’équipements que de services, pour son industrie pétrolière. Par ailleurs, la facture des importations devrait se renchérir en raison de la réapparition de la taxe sur les achats de devises, à hauteur de 27%, proposée par la CBL début 2024 et votée par la Chambre des représentants. Cette taxe temporaire (jusqu’à fin 2024), fortement contestée, équivaut à faire passer le cours officiel du dinar de 0,1555 DTS (0,21 dollar) à 0,11 DTS (0,15 dollar). Cela devrait presque éliminer l’écart avec le taux de change parallèle (0,14 dollar). L’excédent de la balance des revenus primaires souffre toujours du gel, depuis 2018, des dividendes et intérêts sur les actifs de la Libya Investment Authority (fonds souverain). Cependant, les réserves de change restent très élevées (plus de 200 % du PIB) et représentent plus de quatre ans d’importation. La BCL veille à les maintenir en contrôlant l’octroi des devises aux importateurs et les transferts personnels.