La demande interne comme principal moteur de la croissance
Après avoir connu une forte récession entre le dernier trimestre de 2022 et la première moitié de 2023, l’activité économique devrait reprendre modérément en 2024. La croissance profiterait, d’abord, d’un rebond de la consommation privée. La situation favorable sur le marché du travail, dynamisé par l’intégration des jeunes travailleurs russes, biélorusses et ukrainiens, et l’augmentation des salaires réels, encouragent la reprise de la consommation. Toutefois, cet activisme pourrait se heurter à la prudence des ménages, qui se sont montrés particulièrement réticents à consommer depuis les débuts de la crise sanitaire, puis énergétique. Les tensions inflationnistes devraient conserver leur tendance baissière en 2024, la hausse des prix des services ralentissant avec le coût de la main d’œuvre. Cependant, la dépendance lituanienne aux importations énergétiques pourrait engendrer de nouvelles tensions sur les prix à la consommation. L’arrêt précipité des importations de gaz, de pétrole et de charbon russe, à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en 2022, a été partiellement compensé par l’utilisation de terminaux gaziers (Klaip?da) et pétroliers (B?ting?) nationaux alimentés par d’autres sources, ainsi que par le renforcement de l’interconnexion électrique européenne (Pologne, Lettonie, Suède). 60% de l’électricité était importée au premier semestre 2023. Les principales tensions inflationnistes pourraient venir de l’approvisionnement électrique auprès de son voisin russe. En effet, la Lituanie (comme les autres pays baltes) restera reliée au réseau électrique BRELL, contrôlé par Moscou, jusqu’en 2025, date à laquelle elle le sera uniquement au circuit européen. L’investissement, dynamisé par les subventions européennes, devrait aussi soutenir l’activité. Les fonds octroyés par l’UE (RepowerEU, 2,3 milliards d’euros, 3,1% du PIB 2022), sur la période 2021-2027, s’inscrivent dans le cadre d’un programme d’investissement public visant à préparer l’économie à la transition verte et numérique. Ces prêts européens stimuleront les projets d’infrastructures publiques, principalement de défense et énergétiques, et dans, une moindre mesure, l’investissement privé, qui restera néanmoins contraint par des coûts encore élevés du crédit. Dans le même temps, le secteur exportateur contribuera positivement à la croissance. Cependant, les sanctions et les limites aux échanges commerciaux adoptés par l’U.E. à l’encontre de la Russie, ont fortement réduit ses flux commerciaux avec ses anciens partenaires (Russie, Biélorussie). Depuis, la Lituanie a développé ses relations commerciales avec ses voisins Polonais (9% de ses exportations en 2022), Lettons (12,7%) et Allemands (8%), et souffre, en conséquent, de l’atonie de la demande européenne. Alors que l’industrie (meubles, bois, caoutchouc, plastique) affichait une performance négative (-2% en glissement annuel sur 2023), la désinflation, l’augmentation du revenu réel chez les partenaires, et la stabilisation de la demande externe devraient l’aider à se relever en 2024.
Le budget reste très sollicité, le compte courant retrouve son excédent
Après avoir affiché un profond déficit en 2022, la balance courante est redevenue excédentaire en 2023, et devrait conserver cette performance positive en 2024. Cela s’explique par la diminution du déficit commercial liée à la croissance des exportations, soutenues par une légère reprise de la demande européenne profitant aux produits plastiques et chimiques, et la diminution des importations, dans le sillage des prix de l’énergie. Les échanges de biens affichent un solde négatif, car la facture énergétique est encore élevée et la production industrielle est déclinante. En revanche, l’important excédent de la balance des services s’est maintenu, le léger ralentissement des exportations des services de transport étant plus que compensé par la progression de celles de services financiers. Tandis que l’excédent du compte des revenus secondaires s’est renforcé avec l’entrée des subventions européennes, le déficit des revenus primaires s’est creusé, les entreprises étrangères augmentant leurs bénéfices rapatriés. Enfin, le compte de capital et le compte financier ont été alimentés par une hausse encourageante des flux des investissements directs et de portefeuille étrangers. Les réserves en devises étrangères (couvrant à peine 1 mois d’importations) ont stagnées en 2023. Le ratio de la dette externe a diminué en 2023 pour atteindre 67,6% du PIB au Q32023. Elle est équitablement répartie entre le secteur privé, dont 30% de cette part relève de prêts dans le cadre d’IDE et de prêts intragroupes, et le secteur public, dont 80% dus par le gouvernement central.
Sur le plan budgétaire, le déficit public s’est creusé en 2023. La croissance des dépenses publiques, soutenue par une hausse des dépenses sociales en vue des élections générales d’octobre 2024, des salaires et de l’investissement public, a été plus rapide que celle des revenus, les recettes provenant de la TVA ayant été plus basses que prévues. Pour les mêmes raisons, on s’attend à ce que le déficit public se creuse encore en 2024. Les recettes budgétaires, provenant des impôts et des cotisations sociales, devraient légèrement augmentées, mais insuffisamment pour compenser la progression des dépenses, et ce malgré la suppression progressive des subventions sur l’énergie (0,3% du PIB en 2023). Quant à la dette publique, elle devrait reprendre sa tendance haussière en 2024.
La coalition devrait aller jusqu’aux élections
En mai 2023, la médiatisation d’un fait de corruption, impliquant certains ministres, a conduit le parti majoritaire de la coalition au pouvoir, l’Union nationale – Démocrates chrétiens lituaniens (TS-LKD) de centre-droit, à organiser un vote parlementaire en vue d’avancer la date des élections législatives, prévues en octobre 2024. Le projet de loi n’ayant pas obtenu la majorité qualifiée, le gouvernement actuel devrait rester au pouvoir jusqu’à l’échéance normale. Bien que les tensions aient fini par s’apaiser, elles laissent une trace sur la popularité de la coalition. Alors que les sondages d’opinion, réalisés en décembre 2023, indiquent que le principal parti d’opposition, le Parti social-démocrate de Lituanie (LSPD), est en tête, avec près de 21% de popularité, le soutien apporté au TS-LKD a chuté à 14%. Concernant l’élection présidentielle de mai 2024, le TS-LKD a présenté sa première ministre Ingrida Simonyte comme candidate. Néanmoins, les sondages d’octobre 2023 désignent l’indépendant Gitanas Nauseda, en poste, comme favori, puisque très populaire pour sa bonne gestion de la guerre en Ukraine. Malgré leur étroite majorité (74 sur 141 sièges), les trois partis de la coalition, à savoir TS-LKD (50 sièges), et les deux autres partis politiques libéraux, le Mouvement Libéral (LS, 13 sièges) et le Nouveau Parti de la Liberté (LP, 11 sièges), devraient mener à bien leur agenda politique de 2024. La réforme budgétaire est importante, puisque le versement d’une partie des fonds européens est conditionné à sa mise en œuvre. Ce projet prévoit, entre autres, d’augmenter la charge fiscale des travailleurs indépendants et des personnes à revenus élevés, les cotisations sociales, et de poursuivre l’allégement de l’imposition des entreprises. Le déclin démographique est aussi un enjeu. Bien que les réformes éducatives et sociales visent justement à converger vers la qualité de vie offerte en Europe de l’Ouest, elles ne suffisent toujours pas pour attirer les travailleurs étrangers et retenir les jeunes locaux. En effet, l’adoption de ces réformes a été particulièrement lente en raison de l’attention portée par le gouvernement à la gestion de la guerre en Ukraine et à la crise inflationniste. Les tensions intra-coalition ont aussi ralenti leur avancée. Le désaccord entre LP et TS-LKD sur l’adoption des unions civiles entre personnes de même sexe, et le manque de soutien de certains membres de TS-LKD, qui ont, d’ailleurs, rejoint des parlementaires de LS et de LP dans leur vote contre l’organisation des élections anticipées, accentuent les divergences.
En politique extérieure, les relations avec la Russie et la Biélorussie resteront extrêmement tendues. La Lituanie sert de base à l’opposition biélorusse et fournit une aide à l’Ukraine. Comme la Pologne, elle a construit une clôture à la frontière biélorusse. De plus, l’OTAN s’est engagée, lors du sommet de Vilnius en 2022, à augmenter ses forces le long de la frontière russe. Dans ce cadre, un accord a été signé, en décembre 2023, avec l’Allemagne, autorisant la présence permanente d’une brigade allemande de 4800 soldats sur le territoire lituanien à partir de 2025-2026. En contrepartie, la Lituanie s’est engagée, en août 2023, à verser une aide annuelle à l’Ukraine à hauteur d’1,4% de son PIB de 2023. Dans le même temps, la Lituanie continue de réduire sa dépendance vis-à-vis de la Russie. Les installations de stockage de gaz partagées avec les autres pays baltes sont approvisionnées par le nouveau terminal de GNL commun à l'Estonie et à la Finlande, à Inkoo, ainsi que par le terminal national de Klaïpeda, partagé avec la Lettonie et l’Estonie. Cependant, bien que les importations de biens et services en provenance de Russie aient diminué de moitié, les exportations de biens et services vers ce pays restent encore importantes. Enfin, la relation sino-lituanienne restera conflictuelle. La décision d’ouvrir un bureau de représentation à Taiwan, en novembre 2021, a conduit la Chine a imposé un embargo commercial.