Une croissance impactée par le ralentissement américain
L’économie dominicaine a rebondi en 2024, soutenue par les arrivées touristiques record (+12 % par rapport à 2023), la vigueur de l’investissement privé et une hausse des dépenses publiques préélectorales. La reprise de la consommation intérieure a été favorisée par l’assouplissement monétaire et une hausse des transferts de fonds (+ 6,2 % entre décembre 2023 et décembre 2024). En 2025, un léger ralentissement ne départira pas la croissance de sa vigueur. Elle restera portée par la consommation des ménages (65% du PIB en 2023) que favorise l’assouplissement monétaire en cours. En effet, sur fond d’inflation proche de la partie basse de sa fourchette cible (4±1%), et pour préserver l’ancrage du peso dominicain (DOP) au dollar (DOP1=USD0,016), la Banque centrale (BCRD) devrait continuer d’abaisser son taux directeur. Après l’avoir maintenu à 7 % depuis novembre 2023, la BCRD l’a progressivement réduit à partir de fin août 2024 jusqu’à 5,75 % en janvier 2025. Cependant, le ralentissement économique américain pourrait modérer le flux touristique (47 % des touristes non-résidents en 2023) et les envois de fonds (80 % en provenance des États-Unis). Si l'administration Trump met en œuvre sa promesse d'expulsion des migrants illégaux (estimés à 17% des 1,3 millions des Dominicains vivant aux E.U.), la consommation pourrait être davantage impactée.
L’investissement dans le tourisme, les infrastructures et l’énergie, soutiendra aussi l’activité. Les zones franches resteront attractives pour les investisseurs étrangers, notamment espagnols et américains, grâce à leurs avantages fiscaux, à leurs infrastructures dédiées et à leurs coûts de main-d'œuvre compétitifs. La consommation publique, impactée par la rigueur budgétaire, ralentira après le cycle électoral de 2024.
Les exportations seront freinées par la modération du tourisme et la moindre croissance américaine (1er partenaire commercial), alors que la frontière avec Haïti (3ème client) restera partiellement close. De plus, la nouvelle administration américaine pourrait exercer des pressions relatives aux migrations pour obtenir une renégociation de l’accord régional de libre-échange CAFTA-DR. Pourtant, les États-Unis bénéficient d’un excédent commercial avec la République dominicaine et les zones franches demeurent attractives.
Poursuite de l’assainissement budgétaire malgré l’échec de la réforme fiscale
En 2024, le déficit public s’est encore légèrement creusé, avec l’augmentation des dépenses liées au cycle électoral et à la crise en Haïti. La tendance devrait s’inverser en 2025. En juillet 2024, le Congrès a approuvé la loi sur la responsabilité fiscale (LRF), imposant un plafond de croissance des dépenses réelles de 3 % et fixant un ancrage de la dette publique à 40 % du PIB d’ici 2035. Après l’abandon d’une réforme fiscale en octobre 2024, le Budget 2025 a été approuvé en décembre 2024 par le Sénat, en conformité avec la LRF. Les autorités concentrent l’ajustement budgétaire sur les dépenses en capital (- 12,5 % par rapport à 2024), mais des projets se poursuivront (monorail de Santiago, la ligne 2C du métro de Santo Domingo…). Les priorités budgétaires incluent l’éducation et la santé (44,5 % des dépenses totales) et les travaux publics. Les dépenses sécuritaires liées à la crise en Haïti devraient augmenter. Parallèlement, le gouvernement prévoit une réduction progressive des subventions aux carburants et à l’électricité. Du côté des recettes, bien que la réforme fiscale n’ait pas abouti, le président Abinader devrait mettre l’accent sur la lutte contre l’évasion fiscale, atteignant 47 % pour la TVA et 63 % pour l’impôt sur le revenu. Le Budget 2025 pourrait être révisé en cours d’année. Mais l’abandon de la réforme fiscale, qui aurait permis de relever le plafond des dépenses en générant davantage de recettes, limite les marges de manœuvre.
La part extérieure de la dette publique demeure importante (56 % en 2024). En juin 2024, le gouvernement a émis de la dette extérieure pour 3 milliards USD, dont 750 millions dans le cadre d’une première obligation verte. La part de la dette libellée en devises étrangères s’est progressivement réduite (de 75 % en 2019 à 67 % en septembre 2024) grâce à une hausse des émissions obligataires libellées en peso local sur les marchés internationaux. Sur le marché intérieur, les émissions ont progressé, atteignant 100 milliards de pesos en 2024, contre 90 milliards en 2023.
En 2024, le déficit courant s’est modérément réduit, grâce au dynamisme des exportations des zones franches, un secteur touristique robuste et une diminution de la facture énergétique. Financé par les IDE (3,5 % du PIB), il devrait se maintenir en 2025. La modération de la facture énergétique compensera les tensions sur les prix des importations. Toutefois, le ralentissement américain risque d’impacter les flux touristiques et les exportations (60 % à destination des E.U. en 2023) d’appareils médicaux et électroniques, de tabac, de minéraux et de textile. Les envois de fonds devraient faire face à une double pression liée au ralentissement économique aux États-Unis et au durcissement de leur politique migratoire. Par ailleurs, la fermeture partielle de la frontière avec Haïti (7,2 % des exportations totales en 2023) pèsera. Enfin, le taux de change a été sous pression en 2024, conduisant la BCRD à intervenir sur le marché des changes pour éviter une dépréciation plus marquée (- 3,9 % sur l’année 2024). Les réserves internationales, qui demeurent à un niveau satisfaisant (l’équivalent de 3,5 mois d’importations de biens et de services), sont ainsi passées de 15,3 milliards USD à 13,4 milliards entre juillet et décembre 2024, malgré l’émission obligataire de juin 2024.
Durcissement à l’égard d’Haïti après la réélection d’Abinader
Luis Abinader, du Parti Révolutionnaire Moderne (PRM, centriste), a été réélu en mai 2024 avec 57 % des voix. Cette victoire s’est assortie d’une domination dans les deux chambres (29 sièges sur 32 au Sénat et 147 sur 190 à la Chambre basse). Lors des élections locales de février, le PRM a remporté 134 des 158 municipalités. Fort de ses majorités, le gouvernement a fait adopter des réformes, dont la règle budgétaire et une réforme constitutionnelle qui limite les présidents à deux mandats, augmente l’indépendance des procureurs et réduit le nombre de députés. Un projet de réforme visant à moderniser le code du travail (datant de 1992) a été présenté au Congrès en octobre 2024. Il améliore les conditions de travail et renforce la protection des travailleurs nationaux, mais laisse inchangé le régime des indemnités de licenciement, jugé rigide et coûteux pour les entreprises. Par ailleurs, l’administration Abinader a dû retirer en octobre 2024 sa réforme fiscale, une des priorités du second mandat. Cette dernière devait générer 1,5 % du PIB de recettes supplémentaires en visant à élargir l’assiette fiscale, réduire les exonérations, augmenter la TVA sur certains produits de base et réduire certains postes de dépenses publiques. Déjà édulcorée, elle s'est heurtée à une vive opposition de l’opinion publique et des organisations civiles. En parallèle, la criminalité, alimentée par le trafic de drogue, et les infrastructures électriques déficientes, restent des défis. Malgré les efforts pour renforcer la gouvernance et lutter contre la corruption, ces enjeux pèsent aussi sur l’agenda politique.
Les relations avec Haïti resteront cruciales. Depuis 2021, Haïti est plongé dans un désordre sécuritaire et économique, alimentant une immigration massive. La frontière est partiellement fermée depuis octobre 2023 en raison d’un différend sur un canal construit par Haïti pour exploiter un cours d'eau binational. Le gouvernement dominicain a entamé la construction d'un mur frontalier et procédé à des campagnes d’expulsion massives. En 2024, les autorités ont expulsé plus de 276 000 Haïtiens (251 011 en 2023, 5 000 par semaine). Cette politique s’est durcie en octobre 2024, avec un objectif fixé à 10 000 expulsions hebdomadaires. Cette approche migratoire devrait se maintenir, tandis que la mission de l’ONU visant à réprimer la violence des gangs à Haïti, initiée en juin 2024 et menée par la police kényane, manque de financement et de personnel. Enfin, les relations avec les États-Unis, premier partenaire commercial et source majeure d’IDE, demeureront une priorité stratégique, notamment dans le cadre de l’accord CAFTA-DR, qui pourrait être impacté par le protectionnisme de Donald Trump.